Laurent Boileau

Des rêves à réaliser

Réalisateur de documentaire passé au cinéma, Laurent Boileau partage, avec J’irai décrocher la lune, ses deux années de rencontres avec une dizaine de jeunes porteurs de trisomie 21, en quête d’autonomie. Un regard extérieur cinématographique bienvenu pour re-découvrir la vie d’adulte avec ce handicap. Le Mag a eu la chance de visionner le film lors de sa ressortie en salle après le premier confinement.

Interview réalisée le 17 novembre 2020.

L’aventure a démarré comme ça !

Après plusieurs films sur la différence, j’ai eu envie d’explorer cette thématique sous une nouvelle forme et d’aller vers le monde du handicap. Après m’être documenté, j’ai découvert plusieurs reportages sur L’îlot Bon Secours à Arras et ces jeunes adultes porteurs de trisomie 21 qui développaient leur autonomie dans différents aspects de leur vie. J’ai pris le train, je suis allé les voir, on a sympathisé !

« Au départ, aucun militantisme dans ma démarche. Plutôt de la curiosité. »

Dans mes projets de film, j’aime aller vers des univers que je ne connais pas très bien et que j’ai envie de découvrir. Cette démarche m’a guidé pendant toute la production du film. Ce que j’ai découvert m’a convaincu de certaines choses que j’avais envie de partager et faire connaître au monde : pourquoi les personnes ayant une trisomie 21 n’auraient pas une possibilité de choix de vie aussi large que les autres ? Pourquoi les globaliser alors les personnes ayant une trisomie 21 sont diverses ? Pourquoi seraient-ils « obligés » de vivre en foyer de vie, en institution ou en famille ? Pourquoi ne pourraient-ils pas avoir une diversité de propositions : l’autonomie en appartement, la colocation, le foyer de vie, etc. ? Cette question du choix se pose dans l’habitat, mais aussi dans le monde du travail, des loisirs, etc.

 

« Faire ce film m’a fait prendre conscience que ce n’est pas parce qu’on a une déficience
intellectuelle qu’on n’a pas la possibilité d’avoir des choix de vie. »

J’ai fait ce constat une fois le film fini, ce n’est pas lui qui a guidé la réalisation du film. J’aime arriver sans idées préconçues et me laisser guider par les gens, les situations et les rencontres. Il y a probablement un mimétisme entre ma démarche et celle du spectateur. Il se laisse porter par les découvertes successives de ces personnes, de leurs réactions, de leurs attitudes, de leurs actions sans se sentir téléguidé par un parti pris de réalisation.

« ma volonté est de toucher un public le plus large possible »

Tout d’abord, le film touche les familles de jeunes enfants ou adolescents porteurs de trisomie 21. Pour eux, le film offre un champ des possibles en montrant des adultes qui vivent en autonomie, avec des degrés divers : ils vivent en milieu ordinaire, ils font preuve d’autodétermination. Le deuxième public du film est composé des professionnels de santé, les aidants, les accompagnants. Certains découvrent des choses dans le film dont ils n’ont pas toujours conscience : la capacité d’écoute, ne pas infantiliser, laisser le temps à la personne de s’exprimer avec ses mots, accepter que la communication puisse passer par d’autres moyens que la parole. Le film donne des pistes de réflexion ou interpelle, interroge les pratiques. Au-delà de ces publics concernés par le handicap, il y a tous ceux qui ne connaissent pas la déficience intellectuelle. Si j’avais à choisir, c’est eux que je souhaite toucher en priorité. Tant qu’on ne touchera pas largement, on aura du mal à faire progresser l’inclusion des personnes en situation de handicap. En ce sens, je trouve formidable le travail d’Elise – une des protagonistes du film qui travaille en crèche et en école maternelle. Tous ces enfants qui vont grandir et devenir des adultes responsables, auront forcément une autre approche de la trisomie 21.

« j’ai cherché par quel moyen je pouvais communiquer avec chacun d’entre eux »

Quand je suis arrivé à Arras, j’ai rencontré une dizaine de personnes porteuses de trisomie 21. Mon premier réflexe a été de me focaliser sur des personnes comme Robin ou Eléonore, avec qui l’échange se fait assez facilement, avec une réflexion et de l’humour. Mais ça mettait forcément de côté celles et ceux qui n’avaient pas la parole facile et qui, pourtant, étaient en capacité de raconter des choses de leur vie sauf que le média de la parole ne leur correspondait pas. Par exemple, Gilles Emmanuel m’a proposé la chanson. J’avoue que j’étais un peu dubitatif. Finalement, en étant en studio et en lui proposant de chanter sur les chansons qu’il avait choisies, je me suis rendu compte qu’elles étaient un moyen pour lui de raconter une partie de sa vie, il pouvait se servir des mots des autres. Stéphanie, elle, s’exprime assez bien, mais elle est dans un espace-temps peut-être différent. Elle aime bien écrire ses idées pour pouvoir les communiquer. Ce qui fait cette séquence dans le film, où j’évoque avec elle ses rêves. Et un dialogue s’installe entre ma question orale et sa réponse par écrit puis la lecture. C’est une séquence qui a duré 45 minutes environ au tournage pour 3 minutes dans le
film.

« pour le film, la crise covid est un peu catastrophique »

Le film devait sortir le 18 mars et toutes les séances de rencontres avec le public dans les cinémas ont dû être annulées. Une nouvelle programmation nationale était prévue en novembre mais le deuxième confinement a de nouveau tout annulé…. Beaucoup de salles ont prévu de reprogrammer des ciné rencontres dès que ce sera possible. Peut être en mars 2021…

 

« j’ai une idée de film pour dans quelques années »

On s’interroge assez peu dans les films sur les personnes porteuses de trisomie 21 vieillissantes. C’est une simple idée. Sur le principe, ça me plairait de faire un film sur ce que c’est de vivre à 50-60 ans avec une trisomie 21. Actuellement, je travaille sur un film qui ne porte pas sur la déficience intellectuelle mais sur l’engagement en politique des personnes en situation de handicap. J’ai également deux autres projets en cours : l’un sur une épicerie sociale et solidaire et l’autre sur le cinéma d’animation de propagande.

quelques extraits du film 

informations pratiques

FILMOGRAPHIE DE LAURENT BOILEAU

Longs-métrages
– 2020 : J’irai décrocher la lune / 92 min
– 2012 : Couleur de peau : Miel (Approved for Adoption) / 75 min

Courts-métrages
– 2014 : Lady of the Night / 9 min

Documentaires
– 2018 : C’est pour la Vie / 52 min
– 2015 : Goulet-Turpin, la saga d’un épicier / 52 min
– 2009 : La Pologne de Marzi / 26 min
– 2007 : Sokal, l’art du beau / 26 min
– 2006 : Les Chevaux de papier / 52 min
– 2005 : Franquin Gaston & Compagnie / 52 min
– 2004 : Spirou, une renaissance / 52 min
– 2004 : Les Artisans de l’imaginaire / 52 min
– 2003 : Un autre monde / 40 min
– 2002 : Un collège pas comme les autres / 52 min
– 2001 : L’éducation en questions / 2×13 min
– 1999 : Un moulin dans le vent / 52 min

Série d’animation
– 2009 :  Marzi, la chute du communisme  / 10×3 min

Web
– 2007-2009 : Les Rencontres de la BD / 52×30 min