caroline boudet

Maman de Louise et journaliste

Est-on vraiment une maman d’enfant avec trisomie 21 lambda quand on est journaliste ? C’est avec cette question qu’on a contacté Caroline Boudet pour cet entretien. Vous savez, Caroline Boudet, c’est la maman de Louise. Elle a écrit deux livres sur le parcours de sa fille porteuse de trisomie 21, elle gère avec son mari une page facebook qui réunit plusieurs dizaines de milliers de fans, ils ont monté une asso, ExtraLouise, qui porte des actions de sensibilisation pour lever les préjugés. Mais qui est cette maman qui devient le porte étendard des parents de jeunes enfants porteurs de handicap ? Rencontre.

L’histoire a commencé quand elle a fait le buzz en 2015 avec un post sur facebook, qui a fait le tour du monde. Ce fut le début de son aventure médiatique, côté « maman de Louise ». Oui parce que côté Caroline, elle est journaliste de formation et de métier. Donc les médias, elle connaît ! C’est là que ses deux facettes se rejoignent. Elle a tout de suite compris que ce buzz ne pourrait pas s’arrêter là !

Un premier livre pour sensibiliser, partager son parcours et surtout lever les préjugés. Un deuxième, pour alerter sur les obstacles à la scolarisation. Dans les deux cas, un seul public, tout le monde. Car c’est ça l’effet Louise : ça ne touche pas que les parents d’enfants handicapés, ça touche tout le monde. Et pour Caroline Boudet, les changements de mentalités, ça passe par là, la sensibilisation de tous !

« Elle, c’est ma fille. Louise. Qui a quatre mois, deux bras, deux jambes, des bonnes grosses joues et un chromosome en plus. »

L’histoire a débuté quand Louise avait 4 mois, sur les réseaux sociaux par un post qui est devenu extrêmement viral et qui a fait un buzz mondial, traduit dans quarante langues.

 

Ce post, elle le dit elle-même, c’est un coup de gueule, d’une mère exposée au regard extérieur, aux remarques déplacées sur sa petite fille de 4 mois, même venant de la part de soignants. Elle y explique qu’avant d’être handicapée, son bébé est une petite fille, qu’on ne l’appelle donc pas « petite trisomique », qu’on ne demande pas à sa jeune mère pourquoi elle a un enfant handicapé, qu’on ne cherche pas à la rassurer par des « c’est votre bébé malgré tout », qu’on ne généralise pas sur des prétendues qualités liées à ce handicap « ils sont comme çi, ils sont comme çà. ». Cette explication de texte était bienvenue pour les personnes non concernées par le handicap, qui ne trouvent souvent pas les mots justes. Pour Caroline, ces réactions s’appuient sur une méconnaissance de la trisomie 21. Alors, elle en a fait son combat. Pas exactement son combat, car, pour elle, « le combat c’est plutôt dans notre vie et dans la vie de Louise ». Elle reconnaît, en revanche, son engagement pour lever les préjugés qui entourent la trisomie 21.

« On s’est dit, on va continuer ! »

Pour répondre aux sollicitations suite à ce buzz, Caroline et son mari ont créé une page facebook, qui est montée à 15 000 fans en quelques jours. Elle en a maintenant plus de 40 000. La page raconte le quotidien de Louise et sa famille depuis cinq ans. Un quotidien de famille presque normale pour casser les clichés et montrer que « non, ce n’est pas un poids terrible d’avoir une enfant avec un handicap mental » et que : « oui, il y a des galères, surtout administratives ».

banaliser la trisomie 21, c’est le leitmotiv de la page

Sur @extralouise, les commentaires fusent. Il y a beaucoup d’engagement et les parents de Louise ne sont pas trop de deux pour y répondre, en plus de leurs carrières professionnelles… « On les lit tous et on y répond de façon artisanale, au fur et à mesure », précise Caroline. Même les petits débats sont les bienvenus. Ici, on prend tout, surtout quand l’échange est bienveillant. Dès qu’il s’agit d’évoquer la différence, les petits ou les gros problèmes liés au handicap, les conseils et les partages d’expérience pleuvent. Caroline les lit tous, mais avec distance. Elle sait qu’ils sont utiles avant tout à la communauté des parents qui suivent la page et que le cas de Louise est aussi celui de milliers d’enfants et de parents. Très souvent, ce sont des commentaires chaleureux. Et si ce n’est pas le cas, Rémy, le papa de Louise, veille au grain. Se protéger et protéger Louise. C’est lui, le modérateur : il apaise, il répond, il ignore, il passe à autre chose. Ce que l’on appelle la haine sur les réseaux sociaux, les parents de Louise y sont peu exposés. Il leur est rarement arrivé d’en être sujets mais si besoin, ils n’hésitent pas à bannir la personne en question. « C’est déjà arrivé mais très peu de fois », avoue la journaliste. 

les préjugés ont la dent dure

Le sujet du droit à l’image, quant à lui, a fait grincer quelques pixels. Une vidéo anodine du quotidien montrait Louise en train de danser. Craquante, comme à son habitude. « Mais elle porte encore des couches ! », se sont exclamés quelques habitués de la page. Débat sur la propreté. Echanges de bonnes pratiques. Jusqu’ici des discussions conformes à ce qui se passe habituellement sur la page. D’ailleurs, le sujet de la propreté n’en n’était pas à son premier post, puisque Rémy s’était fendu d’une anecdote savoureuse qui avait été grandement remercié par d’autres parents : « Merci d’en parler ! », lui avaient-il unanimement répondu. En effet, changer les couches d’un enfant de cinq ans fait partie de ce qu’on appelle « les galères du handicap ». Les partager sur les réseaux sociaux, aussi simplement qu’une petite danse a été très apprécié par tous ceux qui vivent le même quotidien. 

Mais ce qui n’est pas passé dans ce post, ce n’est pas le caca, ni que l’on voit la couche de Louise. Non, ce qui n’est pas passé, c’est que l’on montre les problèmes de propreté de Louise. Certaines personnes se sont montrées « choquées », tels étaient leurs mots, par le fait de partager cette « humiliation » sur les réseaux sociaux. Ils parlaient « d’irrespect » pour Louise… Caroline et Rémy ne se sont pas voilés la face. Ils savent bien que l’image de Louise lui appartient. Ils y sont d’ailleurs très vigilants. Lui, traque le net méticuleusement pour éviter toute utilisation abusive de l’image de sa fille. Elle, se dit prête à stopper les posts sur Louise dès qu’elle sentira que cela lui porte préjudice. Mais ces réactions montrent bien qu’il est plus facile d’accepter le bon côté du handicap que le mauvais…

« c’est la que je me suis dit que quelque chose cloche dans ce pays »

« La vie réserve des surprises », c’est le premier livre de Caroline Boudet, maman auteure. C’est surtout le témoignage d’une mère face aux préjugés sur la trisomie 21. Les siens, déjà, et ça c’est le déclencheur : « Je me suis rendue compte que je n’avais jamais, dans ma vie, côtoyé de personne avec trisomie 21 et c’est là que je me suis dit que quelque chose cloche dans ce pays.  J’avais fait toute mon école, mes loisirs, etc. sans jamais côtoyer de personnes avec une trisomie 21 et en les voyant juste, de loin, dans leur propre univers, très séparé du mien. Je pense que si ça n’avait pas été le cas, j’aurai réagi beaucoup moins violemment à l’annonce du diagnostic. En tout cas, j’aurai eu des peurs beaucoup moins énormes… »

Alors, elle cherche à lever ses propres clichés, à comprendre le handicap. C’est là que la journaliste se réveille et enquête. Elle apprend aussi à connaître sa fille, à découvrir un monde de possibilités et d’espoirs. C’est cet espoir qu’elle partage dans ce livre qui a rencontré un vrai succès et touché le public.

Ensuite, les medias ont servi la cause. Ils ont porté le message, démultiplié les arguments. Attirés par le buzz, Caroline avait déjà fait plusieurs plateaux télé et autres apparitions multiples dans la presse. Avec la parution du livre, ce fut l’occasion de marteler le message. Il faut bien reconnaître que grâce à sa connaissance professionnelle, ce fut chose facile pour elle que de se prêter au jeu des medias pour amplifier son propos.

« je ne pensais pas réécrire un livre »

Après son premier livre, Caroline a voulu faire une pause sur le sujet de la trisomie 21. « Je ne pensais pas réécrire un livre sur la trisomie 21 », précise-t-elle. Elle a donc écrit un roman sur un tout autre sujet, la charge mentale, et Louise a tranquillement fait ses années de crèche. C’est à l’entrée à l’école que Caroline a ressenti le besoin de sortir à nouveau sa plume. Si elle n’est pas la seule à connaître ce parcours du combattant qu’est la scolarisation d’un enfant en situation de handicap, la violence des démarches, des refus, des oppositions n’ont pas pu la laisser muette. Il lui fallait en témoigner et c’est ce qu’elle a choisi de faire dans son deuxième livre « L’effet Louise » sur le parcours de scolarisation. Ça ne l’a pas apaisée, la colère gronde dans sa voix quand elle évoque ces obstacles : « Le combat pour avoir une AVS*, les attentes, les lettres, les commissions, les gens qui ont peur, qui se rétractent, ceux qui disent que finalement « ça va pas être possible… ». Ce qui bloque, elle le rappelle, ce ne sont pas les gens sur le terrain, ce qui bloque, c’est le système administratif qu’elle appelle « rouleau compresseur » : « Dans les bureaux, les rectorats, les inspecteurs, les MDPH, etc. c’est à ces niveaux là que ça bloque et qu’on va d’abord vous répondre : « non, c’est pas possible », plutôt que : « oui on va s’arranger ». Ça se dessine clairement quand on suit le parcours de scolarisation, ça bloque plus haut dans la machine. »

Elle raconte aussi le cas de cet inspecteur de l’Education Nationale qui lui suggérait de ne pas scolariser sa fille les heures où elle n’a pas d’AVS. Caroline se révolte contre ce système qui pousse les parents à accepter des solutions qui n’en sont pas. Ce jour-là, elle a choisi d’utiliser sa notoriété pour souligner l’illégalité de cette proposition, si ce n’est de son inconvenance. Mais elle aimerait ne pas avoir à taper du poing sur la table. 

Son témoignage fait l’objet de longs échanges sur les réseaux sociaux où Caroline et Rémy deviennent parfois experts et conseillers auprès de parents moins aguerris qu’eux.

« Il y a un fossé entre ce qui est affiché et ce que les parents vivent !  » 

Quand on lui demande si elle pense faire bouger les choses avec son témoignage, elle précise qu’elle ne se fait pas d’illusion. Elle ne pense pas qu’un livre peut changer le système. En revanche, médiatiser le décalage entre discours et réalité, oui. Même si Emmanuel Macron a cité son livre lors de la Commission nationale sur le handicap, elle n’a pas eu de contacts directs avec le Ministère. « Le constat que je fais dans mon livre est totalement différent du constat qui est fait au niveau gouvernemental. Mon constat c’est qu’il y a un fossé entre ce qui est affiché et ce que les parents vivent. »

« le stéréotype, c’est le handicap numéro un de la trisomie »

Casser les stéréotypes, c’est le projet de l’association ExtraLouise que Caroline et Rémy ont créé. Aux côtés de leurs vies de famille et professionnelles, ils animent des campagnes de sensibilisation sur les réseaux sociaux, leur terrain de jeu. Même s’ils y passent moins de temps que souhaité, leur campagne sur les clichés est régulièrement reprise et diffusée par medias et associations.

caroline et la maman de louise

Côté pro, Caroline rappelle qu’elle a toujours souhaité travailler. Pas question pour elle de tout arrêter à la naissance de Louise. Elle est journaliste freelance et ne travaille pas que sur les sujets liés au handicap, même si elle en connaît un rayon. Elle écrit des articles principalement pour le web sur la santé et l’économie sociale et solidaire, notamment. La diversité des sujets, c’est ce qu’elle aime dans son métier. Elle insiste sur l’importance de ne pas être que la maman de Louise : « Je sépare vraiment les deux. Dans un de mes livres je parle de « Caroline et la maman de Louise ». On m’appelle comme ça dans les medias. J’existe par ça et je trouve ça tout à fait normal. Mais j’ai toujours tenu à avoir un autre moment dans ma vie où je suis Caroline, professionnellement et dans mes loisirs. » D’ailleurs, petite exclu pour Le Mag des Extraordinaires, elle prépare un nouveau roman, qui comme « Juste un peu de temps » prend de la distance avec le sujet du handicap.

et après ?

Pour conclure, Caroline aime à rappeler que son souhait le plus cher est de ne plus avoir à écrire de livre sur la trisomie 21 : « cela voudrait dire que les barrières de la différence sont tombées ». En attendant de pouvoir arrêter, elle compte bien profiter de la rentrée scolaire pour « mettre un gros coup sur l’inclusion ». Chaque année, les medias la sollicitent sur le sujet. Elle sait que ce sera l’occasion de rappeler aux parents leurs droits : « Il y a un gros travail d’information à faire auprès des parents. Beaucoup de gens ignorent qu’on peut dire à la directrice : « Non, vous n’avez pas le droit de ne pas accepter mon enfant ». 

*AVS : assistante de vie scolaire