stéphanie pillonca

Mettre en lumière

Mettre en lumière ceux qu’on ne montre jamais, c’est le combat de Stéphanie Pillonca, réalisatrice passionnée, que Le Mag a rencontré lors de l’avant-première de son téléfilm « Apprendre à t’aimer » qui sera diffusé ce mardi 8 septembre en prime time sur M6. Rencontre.

Stéphanie Pillonca a plus d’une corde à son arc : actrice, scénariste, réalisatrice, elle marche au cœur. Pas d’angélisme pour autant pour cette femme de combat, habituée aux documentaires, qui n’hésite pas à montrer les zones d’ombres, s’atteler à des sujets sensibles pour faire bouger les choses. Deux jours avant sa diffusion, elle souligne avec passion ce qui compte pour elle dans ce film.

    l’idée: faire découvrir ce qu’est la trisomie 21

    L’avant-première s’est déroulée au cinéma Le Balzac à Paris. Stéphanie y avait invité les familles, les acteurs, l’équipe du film et beaucoup de gens du métier.

    « Je voulais leur montrer ce qu’on pouvait faire, humblement. Il y avait beaucoup de gens qui ne connaissaient pas ce handicap et qui m’ont dit après : « on découvre la trisomie ». Ça m’a vraiment touchée ! Les gens diabolisent les choses… Quand on parle de la trisomie, on n’en parle pas comme il faudrait, de manière inclusive, dans une démarche de vie ensemble, de s’insérer dans la société avec des particularités. Je crois que les gens sont ressortis du film, rassurés. Ils s’en veulent même. Certains me l’ont dit : « Je m’en veux, je suis un con, j’ai eu des jugements sur des trucs sans connaître. »

    On a peur de ce qu’on ne connait pas

    Le film agit comme un miroir sur les réactions parfois déplacées, incarnées par quelques personnages du film.

    « J’espère que les gens vont pourvoir ressentir qu’il n’y a pas de panique, vont pouvoir s’abandonner un petit peu. Aussitôt qu’on est en terrain de connaissances, les choses sont apaisées. Et on ne se sent plus en danger. »

    montrer le visage de la trisomie 21

    Plusieurs scènes s’attardent sur les visages, les attitudes, les émotions, les regards… Stéphanie montre le visage de la trisomie 21 à tous âges, les bébés, les enfants, les adultes, plus ou moins jeunes. Elles ne cachent pas le handicap, elle nous apprend à le voir.

    « Je ne voulais pas qu’on les rate dans le film. Les petits, les grands. Comme j’avais déjà fait un film avec cette association, je les connaissais bien, je savais que je pouvais les filmer et faire de belles images. »

    face au handicap, les hommes ont un chemin plus long à faire

    L’angle du père submergé par l’annonce du handicap de sa fille est un parti pris fort de l’histoire. Pourquoi ce choix ?

    « A l’occasion du film Laissez moi aimer, que j’ai fait pour Arte, j’ai rencontré des papas d’enfants porteurs de trisomie 21 et ils m’ont un peu raconté leur parcours. J’ai recueilli ces témoignages, qui étaient inattendus. J’ai interviewé une centaine de famille et une trentaine de pères. J’ai jamais rencontré une maman qui est partie. J’ai rencontré beaucoup de papa qui sont partis et qui sont revenus. Je pense que l’homme a un chemin plus long à faire. Aussitôt qu’il l’a fait, il est grand, défenseur, boss d’asso en général, mobilisé à fond ! Mais les premières semaines, les premiers mois, les premières heures, les premiers jours, en général, la maman est très seule. Il y a un côté sacrificiel où elle comprend très vite que tout va reposer sur ses épaules, et qu’elle doit se relever de manière quasi immédiate. »

    un film ancré dans le réel

    Truffé de scènes très justes, le film s’appuie sur le vécu des familles rencontrées par la réalisatrice.

    « On a écrit les témoignages, les anecdotes qui nous ont été racontés. Les papas nous disaient tout. Par exemple, la scène du père qui se lève au milieu de la nuit pour aller sur les forums de parents et qui ne comprend pas. La réplique : « mais c’est vraiment des tarés ! » vient de là. »

    « La présidente de Trisomie 21 Var, m’a aussi beaucoup aidée sur le scénario. Par exemple, c’est elle qui m’a relatée certaines anecdotes, reprises dans le film. « La première fois qu’on m’a dit qu’elle était jolie, ça m’a fait un bien fou ». C’est aussi elle qui témoigne de cette phrase du père, à la fin du film, dite comme une déclaration d’amour : « Je suis content qu’on n’est pas su pour elle avant »

    beaucoup plus qu’un téléfilm

    Le travail documentaire réalisé en amont, et pendant le tournage, et la culture forte de Stéphanie pour cette approche, enrichit le téléfilm d’un contexte vrai et riche.

    « J’ai essayé de mélanger des anonymes et des acteurs. Même s’il y avait un texte, j’ai essayé de les suivre vraiment, façon doc. Mais j’ai voulu qu’ils soient maquillés, j’ai voulu refaire des prises. J’ai vraiment un mélange des deux. Les acteurs, je les ai vraiment balancés là-dedans. Par exemple, dans la scène du loto, je leur ai dit : « Ben voilà, c’est un loto. Vous vous rappelez de votre texte ? Alors on y va… »

    « Je n’ai pas fait beaucoup de prises. Il faut plutôt être sur le coup sur des scènes comme le combat de judo, la danse ou le concert. On a travaillé en profondeur. On a beaucoup répété en amont. Beaucoup beaucoup beaucoup. Pour qu’ils marquent leur place, qu’ils ne bougent pas, qu’ils ne regardent pas la caméra. Mais après, pas de problème. Ils travaillent les gars ! Ils ont pris leur rôle très au sérieux, pas de problème : le trompettiste, les danseuses, les choristes, le judoka… Le judoka, il est champion de France, il est magnifique. »

    ces petites filles-là nous ont vraiment gâtés 

    Naomi joue Sarah à 1 an et apparaît une grande partie du film aux côtés de Camille, Sarah bébé et Coline, Sarah a 2 ans.

    « Les premières séquences que j’ai tournées avec Naomi, ça a été très bizarre. Elle avait vu Ary – Ary Abittan tient le rôle du père, et moi. Auparavant, chaque fois que je la voyais, ma fille qui a 14 ans, qui joue la jeune fille, Zoé, était là. Elle, elle avait un super contact avec Naomi. Mais pour la première séquence, il n’y avait pas ma fille, elle était à l’école. J’avais super peur.

    Quand Naomi est arrivée avec son père, je lui ai expliqué, je lui ai tout raconté à l’oreille : « tu comprends bien que là, ça passe ou ça casse. C’est toi qui vas décider ma grande ». Après, on est allées dans le coin où était Ary, elle a tendu les bras et elle est allée dans ses bras. Et les premières scènes que l’on film avec elle, sont des scènes très fortes : face au miroir, Ary lui dit : « t’es belle ma fille. T’es la plus belle du monde ». C’est le premier truc qu’on tourne ! Et là, elle rit, elle se laisse embrasser. En fait, elle a tout compris… »

    « Une autre scène fut aussi très particulière à tourner. Le père m’avait dit : « elle ne pourra jamais, elle est trop énervée. Elle venait d’avoir un vaccin. Elle courait partout ». Avant qu’elle ne reparte, je luis dis : « Naomi, c’est en place, tu veux qu’on essaie ? Je te pose, je te donne le bibi, on met un petit projo sur toi, ça dure 5 minutes, tu veux qu’on essaie ? » Je l’ai posée, elle bougeait plus, on a fait la séquence. C’était un one shot. Les acteurs étaient super émus de ça. Quand ils s’embrassent, elle est là, elle regarde… Un enfant lambda peut pas faire ça. Elle, elle saisit les trucs, elle comprend tout, elle a un sixième sens ! »

    carte blanche pour cette production signée M6

    « J’ai eu complètement carte blanche. On m’a juste fait enlever une réplique mais c’est tout ! J’ai eu une liberté totale. J’ai voulu montrer d’autres handicaps aussi, des gros plans, bien strongs. Ils n’ont rien dit. C’était vraiment chouette pour ça et étonnant. Pour connaître bien d’autres chaînes, ça ne se passe pas comme ça d’habitude. Comme je ne me laisse pas trop faire non plus… Je préfère me disputer avec des gens et aller jusqu’au bout dans ce que j’avais à dire. Je ne voulais pas trahir les familles. »

    et après ?

    Le téléfilm sera diffusé mardi 8 septembre sur M6 à 21H et sera suivi d’un plateau animé par Flavie Flamant et des parents d’enfants porteurs de trisomie 21.

    « Après cette diffusion, j’espère qu’il tournera, comme mes films précédents sur le handicap : médiathèques, fondations, etc. Je fais ça pour aider les asso. Je fais une conférence gratuitement et le film. J’espère que M6 fera comme Arte et m’autorisera à le faire… En général, la prof de danse vient et parle de l’inclusion par l’art. On essaie d’aller jusqu’au bout de l’inclusion, que le film soit un outil. Par exemple, le film Laissez-moi aimer, que j’ai fait l’année dernière, est en Gironde. J’ai dit au Conseil de Gironde, je vous donne les droits, je fais une conférence gratuitement, mais vous, vous engagez cette asso pour qu’elle apprenne l’inclusion dans les écoles… Personne ne gagne d’argent mais c’est une association qui engrange un petit peu de fonds pour pouvoir faire de la danse inclusive. On essaie de faire ça parce qu’on est des passionnés. »