Articles de presse, reportages télé, vidéo du média Brut, visite de Brigitte Macron… À Bordeaux, le Jardin Pêcheur est une petite gloire locale, mais ce n’est pas ce qui pousse Pierre Maly à avancer. Son moteur, c’est créer de l’emploi pour les personnes fragilisées par le handicap. Interviewé par le Mag, il revient sur l’histoire du restaurant et de ses projets à foison.

Interview réalisée le 20 mai 2022

Le restaurant Jardin pêcheur de Bordeaux est le deuxième du nom, qu’est-ce qui vous a poussé à renouveler l’expérience ?

Le premier Jardin Pêcheur a été créé il y a 15 ans, en 2007. J’étais directeur d’établissement médico-social et les personnes accueillies étaient principalement porteuses de troubles psychotiques. Dans leur recherche d’emploi, ces personnes ne trouvaient pas de débouchés et ne relevaient pas pour autant des ESAT. Alors, j’ai eu envie de créer une entreprise adaptée, un restaurant pour eux, à Périgueux, une guinguette au bord de la rivière, dans un très bel endroit. Nous avons eu beaucoup de succès à l’ouverture. Le concept était complètement nouveau à l’époque. 

Dans le même temps, la Communauté d’agglomération du Grand Périgueux a monté un dossier FEDER pour obtenir des fonds européens pour développer la ville. Le Jardin pêcheur a été inclus au dossier comme projet d’économie sociale et solidaire, ce qui nous a permis un apport de 12 % du financement de notre projet. Cette démarche nous a surtout permis d’être sollicités par la Préfecture de Région pour ouvrir ce deuxième restaurant de Bordeaux en 2017. Un autre projet a même été à l’étude à Limoges, mais sans aboutir par refus de financement des aides aux postes par la DIRECTTE, l’ensemble des aides aux postes ayant déjà été orienté sur les douze emplois du restaurant de Bordeaux.

Quel est le poids de l’aide au poste dans le modèle économique du restaurant ?

 

Sur Bordeaux, le restaurant ne pourrait trouver l’équilibre sans l’aide au poste. Le Jardin Pêcheur de Bordeaux emploie 20 salariés dont 17 en situation de handicap. Le projet représente plus d’un million d’investissement financé par des subventions, dont deux cent mille euros provenant du fonds européen FEDER, cent cinquante mille euros de la Région et sept cent mille euros de fondations privées. À date, nous n’avons pas encore trouvé notre niveau de rentabilité même si on s’en rapproche.

Après deux années de Covid, l’année redémarre. Ce midi, par exemple, nous avons servi quatre-vingts couverts. Si ce rythme se répète sur quatre jours par semaine, nous pourrons atteindre cette rentabilité. Le potentiel du lieu est très important avec une surface de 700 m2, un loyer de dix mille euros par mois et la capacité de 350 couverts. 

 

Avez-vous développé d’autres activités dans ce lieu ?

 

Nous sommes en train de transformer l’étage qui dispose d’une vue sur la Garonne. Jusqu’à présent, nous y servions des convives, mais le service à l’étage était trop éprouvant pour nos salariés. Nous avons levé des fonds privés et reçu l’aide du fonds de développement des entreprises adaptées, ce qui nous a permis de créer une terrasse en rez-de-chaussée pour cinquante couverts en extérieur. Et l’étage va être transformé en roof top, une fois les travaux d’ombrage, lumière, musique, réalisés. 

Vous employez des salariés avec divers handicaps, quelle est votre approche ?

 

Nous employons des personnes avec des handicaps très différents les uns des autres : des personnes avec des déficiences auditives ou visuelles et des personnes sur tout le spectre du handicap psychique, de la dépression sévère jusqu’à la psychose et à l’autisme. Nous avons des stagiaires avec des déficiences intellectuelles comme la trisomie 21, mais le restaurant n’est pas adapté à leur handicap, car l’offre de restauration est très large et la gestion du coup de feu leur est inaccessible car ils ont souvent besoin de situations plus ritualisées.

Quels outils adaptés avez-vous mis en place ?

 

Les différences entre tous les handicaps de nos employés sont finalement ténues. Il s’agit de quelques adaptations : avec nos deux cuisiniers avec des déficiences auditives, nous sommes attentifs à leur parler bien en face afin qu’ils puissent lire sur nos lèvres, nous attirons leur attention en modifiant l’éclairage, etc. Avec notre commis de cuisine qui a une déficience visuelle, nous aménageons les tailles de caractères, par exemple.

Ce sont des aménagements périphériques, adaptés à chacun. Un de nos anciens salariés avait des angoisses vespérales, il ne travaillait évidemment pas le soir… Ce n’est finalement que du bon sens que de s’adapter aux spécificités de chacun. Pour chacun des employés, j’essaie de repérer ce que j’appelle le « point de radicalité », ce qu’il attend, au sens large, en réparation de son handicap. Je revendique de dépasser un peu mon rôle d’employeur pour rentrer dans un accompagnement avec une dimension psychologique sur la conscience de leur handicap.

Des projets pour Le Jardin pêcheur ?

 

Fin juin, sur la place qui jouxte le restaurant, nous allons installer un manège solidaire, qui nous permettra quatre embauches supplémentaires sous forme d’emplois de transition* en partenariat avec l’association Clubhouse, qui accompagne des personnes vivant avec un trouble psychique. La vente de glaces et de barbes à papa nous permettra également de donner de l’emploi à temps partiel pour des travailleurs en situation de handicap. Comme nous proposons déjà une large gamme de vins produits par des travailleurs d’ESAT, nous allons également y organiser une foire aux vins solidaires à cette occasion. Un accompagnement par le groupe Ducasse est même prévu ce mois de juin pour l’offre de roof top et enrichir l’organisation de cocktails… Nous aurons l’occasion d’en reparler.

*CDD ou période d’intérim de moins de 6 mois, contrats aidés chez un employeur de droit commun

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